Haie d’honneur, sirènes, service de sécurité sur les dents : autant d’attributs du pouvoir politique. Ils représentent une première victoire symbolique pour le nouveau gouvernement palestinien d’union nationale, qui est entré solennellement dans la bande de Gaza, jeudi 9 octobre. Revenant sur ses positions antérieures, Israël a accepté de laisser passer les ministres de l’équipe de technocrates dirigée par Rami Hamdallah, venus de Cisjordanie, par le poste-frontière d’Erez. Au bout du long tunnel grillagé, un mur de caméras les attendait.
L’événement est considérable. Annoncé en avril, ce gouvernement de réconciliation devait commencer à travailler en juin. La guerre de cinquante jours contre Israël, cet été, a balayé l’initiative. Mais, une fois le cessez-le feu conclu fin août, les islamistes du Hamas et le Fatah, la formation du président Mahmoud Abbas, ont jugé que l’union était la seule option, après sept ans de rivalité. « Les années de conflit entre factions sont derrière nous », a assuré Rami Hamdallah. Sinon, pas d’aide internationale pour la reconstruction. Dimanche, les donateurs internationaux doivent se réunir au Caire. L’Autorité palestinienne espère 4 milliards de dollars – 3,15 milliards d’euros. Contrairement à 2009, où une conférence similaire s’était tenue à Charm El-Cheikh (Egypte) après l’opération israélienne « Plomb durci », la réconciliation Fatah-Hamas a été cette fois exigée en préalable par des donateurs méfiants.
Gravats
Le Hamas a donc accepté de se retirer du pouvoir politique de Gaza, pour un temps. Il n’assumera pas la responsabilité des urgences. A commencer par l’eau, l’électricité, la nourriture. « Le simple aménagement du siège de Gaza par Israël ne serait pas suffisant, il faut en finir avec le blocus », prévient Maamoun Abou Chahla, ministre du travail. Le gouvernement palestinien voudrait que les points de passage vers l’Egypte, au sud, et vers Israël s’ouvrent, que les marchandises et les hommes puissent circuler à nouveau. Mais les Israéliens ne semblent guère prêts à des compromis substantiels, au nom de la sécurité.
Israël détient une bonne partie des clés de Gaza. La dépendance aux aides extérieures et le blocus ont placé le territoire sous perfusion. D’autant que près de 500 commerces et entreprises ont été détruits cet été. Dans cette économie de survivance, on bricole, on ramasse, on recycle. On tord, on soude, on cloue. Dans les quartiers les plus touchés par les destructions, on erre à la recherche d’un bout de câble ou de matériaux intacts. On n’a rien, et il y a tout à refaire.
Des pans entiers de quartiers ne sont plus que gravats. Les habitants piétinent dans leurs ruines. Ils installent des tentes ou des abris de fortune à quelques mètres de leur ancienne chambre à coucher. Certains n’ont pas le choix : impossible de trouver où se loger. Des propriétaires demandent une avance de six mois de loyer. Mais il s’agit surtout ne pas manquer la visite d’un expert, chargé de la reconstruction. Des milliers de sans-abri ont écrit leurs coordonnées et leur numéro d’identité, au feutre ou à la craie, sur des pancartes accrochées au milieu des gravats. L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) commence à distribuer des fonds aux 14 000 familles dont les logements sont détruits ou inhabitables. « On est au début du processus, dit Rafiq Abed, chef du programme des infrastructures. Nous avons versé entre 1 300 et 1 500 dollars à environ un millier de foyers. » A peine de quoi se loger cet hiver.
Chadjaiya, dans l’est de la bande de Gaza, quartier proche de la frontière orientale avec Israël, a été particulièrement dévasté cet été. Mohamed Selmi, 22 ans, est assis sur une chaise cassée. Devant lui, les restes de la maison familiale. Elle était confortable et spacieuse : vingt-trois personnes y vivaient. On peut la visiter éventrée, en se frayant un chemin dans l’entrelacs des câbles, parmi les morceaux de gravats. Par terre, une chaussure, un cahier pédiatrique indiquant les courbes de croissance d’un enfant, un matelas indemne.
Surveillance des importations
Maintenant qu’un cessez-le feu semble consolidé, Mohamed Selmi s’inquiète de la suite. « Dieu seul sait comment on va pouvoir reconstruire. Le prix du sac de ciment a été multiplié par six cette année… » Au point que certains habitants se contentent d’empiler les parpaings, sans les lier. C’est le cas de son voisin, Mahmoud Aboulgombouz, 36 ans. Lorsqu’il ne travaille pas au service des eaux de la municipalité, il construit un abri au fond de son ancien jardin, devenu décharge. « J’ai besoin de trouver des tôles pour le toit. L’hiver arrive. »
Ces situations de détresse risquent de se heurter à des réalités complexes. Comment utiliser de façon efficace et rapide l’argent des donateurs ? « Ce gouvernement est censé conduire des consultations avec la société civile, soupire Amjad Shawa, directeur à Gaza du PNGO, le réseau des organisations non gouvernementales palestiniennes. Il faut une vision pour la reconstruction, et pas seulement ajouter des pierres à des pierres. » Le PNGO réclame la création d’une commission nationale pour superviser le programme, comprenant les principaux ministres, des représentants du secteur privé et des ONG.
L’autre problème majeur est l’exigence posée par les Israéliens avant toute ouverture des points de passage : la surveillance des importations de matériaux bruts, pour la construction. Israël s’inquiète de la militarisation possible d’une partie d’entre eux par le Hamas, pour fabriquer des roquettes ou creuser des tunnels. Selon le plan de Robert Serry, coordinateur spécial de l’ONU au Moyen-Orient, des centaines d’observateurs internationaux devraient être déployés pour veiller sur les chargements. « Ce plan ne va faire que retarder le calendrier alors que nous avons besoin d’actions rapides, explique Nabil Abou Muaileq, patron de l’Union des entrepreneurs. Les Israéliens ont trop lu de brochures sur Gaza. La surveillance totale est impossible. A moins que leur objectif réel soit de nous rendre la vie impossible. »